Victoire de la thérapie génique contre la première maladie génétique au monde
Une première thérapie génique menée en France a permis la rémission apparemment durable d’un garçon atteint de drépanocytose, maladie génétique la plus répandue sur le globe.
Avec 7 % de la population mondiale, soit près de 520 millions de personnes, atteintes ou porteuses, c'est, et de très loin, la maladie génétique la plus répandue au monde sur les quelque 9.000 recensées. Une maladie qui touche en grande majorité des personnes de couleur, qu'elles viennent d'Afrique subsaharienne, d'Afrique du nord ou des Antilles (lire ci-dessous) et qui, du fait de l'importance prise par les flux migratoires, s'est répandue partout dans le monde, au point d'être récemment déclarée priorité de santé publique par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
POURQUOI LES NOIRS ?
La drépanocytose est une maladie qui affecte en très grande majorité des Noirs. Pourquoi cet état de fait ? L'explication tient à une autre maladie, le paludisme, et relève d'un mécanisme classique de mutation-sélection propre à l'évolution darwinienne. Le gène en cause dans la drépanocytose est appelé S s'il est muté et A s'il est normal. Tout individu possède deux copies du même gène, l'un lui étant transmis par son père et l'autre par sa mère. Une personne malade a deux gènes mutés (S/S), elle est dite homozygote. Mais, à la génération précédente, ses parents sont porteurs de la maladie sans en développer les symptômes, parce qu'ils possèdent un gène muté et un gène normal (S/A) : ils sont hétérozygotes. Or, il se trouve que les hétérozygotes sont moins sensibles que les personnes non porteuses de la drépanocytose (A/A) au paludisme : la surface rigidifiée de leurs globules rouges rend plus difficile pour le parasite d'y entrer. Dans une zone géographique où sévit le paludisme, comme c'est le cas de l'Afrique, les hétérozygotes S/A survivent donc mieux que les A/A en cas d'épidémie ; du même coup, leur proportion dans la population totale de cette région augmente mécaniquement, faisant croître le nombre de couples d'hétérozygotes S/A susceptibles d'avoir un enfant drépanocytaire.
C'est contre ce terrible ennemi, la drépanocytose, qu'une bataille cruciale vient d'être gagnée par les équipes de l'institut Imagine, premier pôle européen de recherche, de soins et d'enseignement sur les maladies génétiques créé en 2014 à Paris. En première ligne, le professeur d'hématologie Marina Cavazzana qui a publié jeudi dernier, dans la prestigieuse revue « The New England Journal of Medicine » , les résultats d'un essai appelé à faire date. Pour la première fois au monde, un enfant âgé de 13 ans à l'époque des faits - il en a quinze aujourd'hui - a été débarrassé de sa maladie par thérapie génique. Même si Marina Cavazzana préfère, par prudence, ne pas prononcer le mot de « guérison », le suivi de ce jeune Antillais depuis deux ans en montre tous les signes.
Une vie de douleurs
Maladie du sang contre laquelle il n'existait jusqu'ici aucun traitement curatif, la drépanocytose est un fléau qui condamne ses victimes à une vie de douleurs et beaucoup plus brève que la moyenne, même dans les pays les plus médicalement avancés comme la France. Une mutation sur un gène porté par le chromosome 11 entraîne une structure anormale de l'hémoglobine, dite hémoglobine S, caractérisée par une moindre solubilité. Du fait de cette anomalie, les globules rouges qui contiennent l'hémoglobine et ont pour rôle de la diffuser dans tout l'organisme présentent une forme caractéristique rappelant une faucille (ces globules rouges sont dits « falciformes »).
Une particularité qui pourrait être bénigne si ce caractère falciforme n'empêchait pas les globules rouges de circuler de façon fluide jusque dans les plus petits vaisseaux du système sanguin, provoquant des crises vaso-occlusives extrêmement douloureuses et aux lourdes conséquences. Selon l'endroit du corps où elles surviennent, ces crises peuvent provoquer des arthrites, des insuffisances rénales, des troubles respiratoires voire des infarctus ou - si ce sont les vaisseaux du cerveau qui sont touchés - des atteintes cérébrales.
Transfusion
Il existe bien une molécule qui atténue ces crises et leurs effets collatéraux, l'hydroxyurée, utilisée notamment dans les leucémies. Mais beaucoup de « drépanocytaires » ne répondent pas à ce traitement. Pour survivre, ces malades n'ont d'autre choix que de subir tous les mois une transfusion au cours de laquelle on leur enlève plusieurs centaines de millilitres de globules rouges malades pour leur donner autant de globules rouges sains.
Tel était le quotidien du jeune garçon jusqu'à ce qu'il passe par les mains de Marina Cavazzana. Sa thérapie génique s'est attaqué à la racine du mal, en corrigeant les cellules souches hématopoïétiques (CSH), c'est-à-dire les cellules de la moelle osseuse à l'origine de toutes les cellules sanguines, qu'il s'agisse des globules rouges ou des globules blancs. C'est dans le matériel génétique des CSH que se trouve la forme mutante du gène responsable de la maladie. « Pour que la thérapie génique réussisse, il faut réintroduire dans l'organisme 3 millions de CSH corrigées par kilo que pèse le malade », explique Marina Cavazzana. Quant à savoir comment faire pour corriger génétiquement autant de millions de CSH, c'est le fruit de vingt années d'expertise.
Cheval de Troie
Il a d'abord fallu pratiquer une ponction dans la moelle osseuse du garçon pour obtenir ses CSH, ce qui a été fait à l'hôpital parisien Necker-Enfants malades, le centre hospitalier partenaire de l'institut Imagine. Une fois isolées et purifiées, ces CHS ont été mises en contact, ex-vivo, avec un vecteur viral. En l'occurrence, une forme génétiquement modifiée du VIH, évidemment débarrassée des gènes responsables de la maladie du sida, et véhiculant en son sein, tel un cheval de Troie, une copie du gène en cause dans la drépanocytose dans sa version non mutée, accompagnée d'un promoteur pour s'assurer que ce gène sain « s'exprimera » lorsqu'il sera à l'intérieur de la CSH.
Quand l'équipe de Marina Cavazzana a ressorti du congélateur les CSH du garçon, elle les a d'abord analysées afin de vérifier qu'elles avaient intégré cette correction génétique en proportion suffisante. C'était bien le cas. Le garçon a alors été soumis à une chimiothérapie, afin de détruire un maximum de ses CSH malades ; les saines lui ont ensuite été injectées par voie intraveineuse, et l'équipe a pu constaté qu'elles avaient correctement regagné leur berceau d'origine, à l'intérieur des os longs où se trouve la moelle osseuse.
450 bébés par an en France
« Depuis qu'il a subi cette autogreffe il y a deux ans, le garçon n'a plus eu besoin de transfusions ; les CSH corrigées se sont aussitôt mises au travail, produisant des globules rouges normaux en quantité suffisante », se félicite Marina Cavazzana, visiblement heureuse que son jeune patient n'ait plus de crise vaso-occlusive et puisse enfin vivre comme tous ses camarades.
« Ce garçon de quinze ans représente un tournant décisif, s'enthousiasme Stanislas Lyonnet, directeur général de l'institut Imagine. La drépanocytose est la première maladie génétique au monde, loin devant une autre maladie du sang, la bêta-thalassémie, et c'est aussi la première maladie génétique en France où 450 bébés naissent avec chaque année. »
Le vecteur viral qui a été développé par l'équipe de Marina Cavazzana avec la collaboration d'une biotech américaine, Bluebird Bio, peut être utilisé de la même manière pour introduire la correction génétique dans les cellules des malades de bêta-thalassémie, qui se trouvent majoritairement dans les pays du Golfe et en Asie du sud-est. Un essai thérapeutique est d'ailleurs là aussi en cours.
EN CHIFFRES
En-dessous d'un cas sur 2.000 naissances, on parle de maladie rare. La très grande majorité des quelque 9.000 maladies rares recensées (plus de 80 %) sont génétiques.
L'hémoglobine contenue dans les globules rouges est formée de chaînes de peptides. L'hémogobine A, qui représente environ 95 % des molécules d'hémoglobine chez l'adulte, est composée de deux chaînes alpha et de deux chaînes bêta. C'est la chaîne bêta qui est anormale dans la drépanocytose,
Si la proportion de globules rouges anormaux reste en-dessous de 30%, une personne atteinte de drépanocytose n'a pas de crise vaso-occlusive.
Le nombre moyen de globules rouges est compris entre 4,5 et 6 millions par millimètre cube de sang pour un homme, et entre 4 et 5,4 millions pour une femme.
Un globule rouge a une durée de vie de 120 jours. Pour maintenir notre taux constant, notre organisme en produit 200 milliards par jour.
par Yann Verdo En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0211848363468-victoire-de-la-therapie-genique-contre-la-premiere-maladie-genetique-au-monde-2069572.php#A7qhb0Ls8Qu6BveD.99